• Déontologie et fonction publique

    Article de Samuel-Frédéric Servière du 3 février 2011

    emprunté à Anticor 11 : http://anticor11.org/

    Le Président de la République a constitué en septembre 2010 la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, qui a rendu son rapport « Pour une nouvelle déontologie de la vie publique » le 26 janvier 2011, avec la perspective d’un projet de loi de régulation des conflits d’intérêt courant 2011. Le risque avec la réflexion qui est en train de s’amorcer sur le sujet est que les conflits d’intérêts soient uniquement considérés du privé vers le public et non du public vers le public et du public vers le privé. En effet, il est généralement admis que le statut de fonctionnaire, son recrutement par concours et la garantie de l’emploi à vie d’une fonction publique dite de « carrière », constituent les remparts naturels aux conflits d’intérêt public/privé. Or rien n’est plus faux. La logique « du Pantouflage », chère à la haute fonction publique ainsi que la logique du passage du secteur public à la politique en sont d’ailleurs deux illustrations.

    Les mesures phares proposées par la commission :

    Les bonnes :

    Déclaration de leur patrimoine pour 4000 hauts fonctionnaires, membres des cabinets ministériels et du gouvernement.

    Incompatibilité entre fonction dirigeante d’une entité administrative et d’une fonction analogue dans une entité privée.

    Interdiction des libéralités, sauf mineures, envers les fonctionnaires, ainsi que leur déclaration systématique lorsqu’elles sont supérieures à 150 €.

    Mettre en place une vraie procédure d’alerte (whistleblowing) afin de dénoncer les pratiques illégales ou contraires à la déontologie de la fonction publique (actuellement l’un des grands angles morts de l’administration française pour traquer les dysfonctionnements).
    Créer une autorité administrative indépendante à l’instar de ses homologues étrangers, l’Autorité de déontologie de la vie publique, résultant de la fusion de la Commission de déontologie et la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Elle disposerait de pouvoirs d’initiative (auto-saisine), d’autorisation, ainsi que de mise en demeure et d’injonction, afin de faire cesser les conflits d’intérêts potentiels. Elle pourrait par ailleurs être saisie par 30 députés ou 30 sénateurs et en cette circonstance, rendre ses avis, consultations, injonctions, publics… Elle sera composée de hauts magistrats (Conseil d’Etat, Cour de cassation, Cour des comptes), donc a effectif constant. Souhaitons toutefois que la rémunération de ses membres ne soient pas plus importante que celle versée dans leur corps d’origine, de façon a se révéler neutre budgétairement.

    Les mauvaises :

    Création de postes de « déontologues » dans l’ensemble des services administratifs et des établissements publics (opérateurs de l’Etat).

    Un régime d’incompatibilité de membre de gouvernement avec l’exercice d’une fonction dirigeante dans un syndicat, association, parti politique ou toute autre personne morale, ou la détention d’une fonction exécutive dans une collectivité ou un établissement local.
    En vérité, les conflits d’intérêts peuvent se produire selon quatre modalités différentes : conflits d’intérêts entre la sphère politique et la sphère publique, entre la sphère politique et la sphère privée, entre la sphère publique et la sphère privée, au sein même de la sphère publique. Or la définition des conflits d’intérêts retenue par les « sages » de la commission est singulièrement réduite :

    Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, rapport remis le 26/01/2011

    1- il s’agit de n’évoquer que les conflits d’intérêts publics/privés, et non la question tout aussi épineuse des conflits d’intérêt public/public. Rien n’est dit en particulier sur les conflits d’intérêts existant par exemple dans la nomination d’un magistrat (Conseil d’Etat, Cour de cassation ou Cour des comptes) dans des fonctions exécutives d’une entité publique et de son retour éventuel dans son institution d’origine. Cette pratique pourtant très française qui tente à abolir pour des raisons de carrière les frontières entre le juridictionnel, par essence indépendant, et l’exécutif, peut placer les titulaires de ces attributions successives en position de conflit d’intérêts ouvert, dès que ladite entité se trouve contrôlée par l’organisme d’origine du fonctionnaire concerné ou que le titulaire se trouve nommé dans un poste en surplomb par rapport à la juridiction  (cabinet ministériel). Pire, la définition proposée par la commission (Proposition n°1) analyse la situation de conflit d’intérêt comme intrinsèquement public/privé : « Un conflit d’intérêts est une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission. » En structurant sa définition autour de cet axe, la commission s’empêche de s’interroger sur la notion globale de conflit d’intérêts.

    2- Il n’y a pas de disposition générale d’incapacité ou de « délai obligatoire de réflexion » (cooling period) imposé aux fonctionnaires dans le cadre de leurs sorties de fonction (et leur passage au sein du privé). Une séparation étant faite en droit anglo-saxon entre le fait de « représenter un intérêt privé » (particulièrement encadrée) et le fait de travailler pour un intérêt privé (« Behind the Scene assistance » de façon discrète (qui elle reste relativement peu réglementée sauf en droit canadien). La loi canadienne sur les conflits d’intérêts du 12 décembre 2006, impose en effet une période de restriction après cessation de fonctions, avec interdiction d’accepter un emploi ou de devenir administrateur d’une société ou de la représenter si le fonctionnaire a entretenu des rapports officiels durant la dernière année précédant la fin de ses fonctions avec elle. Les délais sont de 2 ans pour les ministres, et la période est identique pour l’entrée en contact direct avec un ancien collègue. Par ailleurs, le passage dans le privé devrait toujours impliquer pour les fonctionnaires français, la démission préalable, comme c’est le cas également chez la plupart de nos partenaires étrangers (anglais, canadiens, australiens, américains) et non le recours au détachement ou à la mise en disponibilité. Cela supposerait par ailleurs que la future Autorité de déontologie de la vie publique s’impose un suivi des carrières de certains fonctionnaires ou titulaires de mandats électifs après leur démission, avec sans doute une dernière déclaration d’intérêt l’année suivant leur sortie de fonction.

    Conclusion :
    On le voit, la nécessité de « sécuriser » la notion de conflit d’intérêts implique tout à la fois une définition beaucoup plus large que celle actuellement retenue, mais aussi une plus grande souplesse dans le sens du passage de la sphère privée à la sphère publique.

    En sens inverse, il est nécessaire d’imposer aux fonctionnaires tentés par l’expérience privée de démissionner. Il en est naturellement de même lorsque des fonctionnaires décident de ce lancer dans la vie politique et d’exercer un mandat électoral ; là aussi une certaine égalité public/privé doit prévaloir, imposant égalementla démission.  Denombreux pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les Etats-Unis imposent déjà une telle formalité à leurs hauts fonctionnaires afin d’ailleurs de les rendre parfaitement indépendants de leur emploi d’origine. Cette évolution serait en outre parfaitement conforme à une évolution de la fonction publique vers une suppression de son statut pour les administrations non régaliennes. La démission permettant de remettre à égalité les fonctionnaires entre eux.


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